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![](covers/001_voyage_au_bout_de_la_nu.jpg) |
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Extrait
du livre ![](../images/trait_blanc.jpg) |
«
Une fois qu'on y est, on y est bien. Ils nous
firent monter à cheval et puis au bout de deux
mois qu'on était làdessus, remis à pied. Peut-être
à cause que ça coûtait trop cher. Enfin, un matin,
le colonel cherchait sa monture, son ordonnance
était parti avec, on ne savait où, dans un petit
endroit sans doute où les balles passaient moins
facilement qu'au milieu de la route. Car c'est
là précisément qu'on avait fini par se mettre,
le colonel et moi, au beau milieu de la route,
moi tenant son registre où il inscrivait des ordres.
Tout au loin sur la chaussée, aussi loin qu'on
pouvait voir, il y avait deux points noirs, au
milieu, comme nous, mais c'était deux Allemands
bien occupés à tirer depuis un bon quart d'heure.Lui,
notre colonel, savait peut-être pourquoi ces deux
gens-là tiraient, les Allemands aussi peut-être
qu'ils savaient, mais moi, vraiment, je savais
pas. Aussi loin que je cherchais dans ma mémoire,
je ne leur
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avais rien fait aux Allemands. J'avais tou-jours
été bien aimable et bien poli
avec eux. Je les connaissais un peu les Allemands,
j'avais même été à
l'école chez eux, étant petit,
aux environs deHanovre. J'avais parlé
leur langue. C'était alors une masse
de petits crétins gueulards avec des
yeux pâles et furtifs comme ceux des loups
; on allait tou-cher ensemble les filles après
l'école dans les bois d'alentour, où
on tirait aussi à l'arbalète et
au pistolet qu'on achetait même quatre
marks. On buvait de la bière sucrée.
Mais de là à nous tirer maintenant
dans le coffret, sans même venir nous
parler d'abord et en plein milieu de la route,
il y avait de la marge et même un abîme.
Trop de différence.
La guerre en somme c'était tout ce qu'on
ne comprenait pas. Ça ne pouvait pas
continuer.
Il s'était donc passé dans ces
gens-là quelque chose d'extraordinaire
? Que je ne ressentais, moi, pas du tout. J'avais
pas dû m'en apercevoir... »
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P |
remier roman de Louis-Ferdinand Céline, Voyage… s'inspire
de l'expérience de médecin de l'auteur lors de la première
guerre mondiale. Lors de sa parution, le livre connaît
un immense succès, même si son contenu choque beaucoup
de lecteurs. Les positions politiques et philosophiques
de l'auteur se dressent contre tout ce qui définit la
société de l'époque (capitalisme, colonnialisme ou encore
nationalisme). De plus, le livre est l'un des premiers
à utiliser presque exlusivement du langage parlé, et souvent
de l'argot.
Sur un plan littéraire, le livre est souvent cité comme
l'une des plus grandes "erreurs" du prix Goncourt. Voyage…
le manquit de seulement deux voix, et le gagnant fut un
livre aujourd'hui oublié (Les loups de Guy Mazeline).
Il obtint néanmoins le prix Renaudot la même année.
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Louis-Ferdinand
Céline |
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