002.
L'étranger
de Albert Camus
(1942)


Extrait du livre
« J'ai pris le tram pour aller à l'établissement de bains du port. Là, j'ai plongé dans la passe. Il y avait beaucoup de jeunes gens. J'ai retrouvé dans l'eau Marie Cardona, une ancienne dactylo de mon bureau dont j'avais eu envie à l'époque. Elle aussi, je crois. Mais elle est partie peu après et nous n'avons pas eu le temps. Je l'ai aidée à monter sur une bouée et, dans ce mouvement, j'ai effleuré ses seins. J'étais encore dans l'eau quand elle était déjà à plat ventre sur la bouée. Elle s'est retournée vers moi. Elle avait les cheveux dans les yeux et elle riait. Je me suis hissé à côté d'elle sur la bouée. Il faisait bon et, comme en plaisantant, j'ai laissé ma tête en arrière et je l'ai posée sur son ventre. Elle n'a rien dit et je suis resté ainsi. J'avais tout le

ciel dans les yeux et il était bleu et doré.
Sous ma
nuque, je sentais le ventre de Marie battre doucement. Nous sommes restés longtemps sur la bouée, à moitié endormis. Quand le soleil est devenu trop fort, elle a plongé et je l'ai suivie. Je l'ai rattrapée, j'ai passé ma main autour de sa taille et nous avons nagé ensemble. Elle riait toujours. Sur le quai, pendant que nous nous séchions, elle m'a dit : "Je suis plus brune que vous." Je lui ai demandé si elle voulait venir au cinéma, le soir. Elle a encore ri et m'a dit qu'elle avait envie de voir un film avec Fernandel. Quand nous nous sommes rhabillés, elle a eu l'air très surprise de me voir avec une cravate noire et elle m'a demandé si j'étais en deuil. Je lui ai dit que maman était morte. »

 
P

Premier roman d'Albert Camus, L'étranger fait partie de la "trilogie de l'absurde" de l'auteur, qui comprend également un essai et une pièce de théâtre. Situé en l'Algérie française, le livre fait le portrait de Arthur Meursault, un homme qui vient de perdre sa mère. Sans raison apparente, il abat un arabe sur une plage, et sera condamné à la peine de mort.
Albert Camus résuma son livre par la phrase : « Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort ».
Le film fut adapté au cinéma en 1967 par Luchino Visconti, avec Marcello Mastroianni dans le rôle de Mersault.
 

Albert Camus

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

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